Aujourd’hui Je suis le Moucheron.

On m’a dit qu’un enfant est comme une feuille blanche, une fois touchée par l’encre, elle est marquée à vie. Même avec un Blanco ou une gomme, on laisse toujours des taches. Quand j’y pense, je constate que nous sommes tous des feuilles, et chacune est rédigée différemment, mais les points communs sont aussi nombreux : des paragraphes, des lignes, des virgules et des points finales. Parmi mes paragraphes je trouve un, dont l’encre est toujours aussi foncée, toujours aussi lisible ; même ancien, puisqu’il est rédigé à l’année 1996. Ce paragraphe marque le reste de la feuille, et influe le contenu de tous les autres qui suivent. Un petit chapitre de primaire, que peut être les rédacteurs ont entièrement oublié, mais comme j’ai dit avant, ce qu’ils notent, est à vie.

Chapitre 10.

De bout devant une classe de 40 élèves, j’ai le trac, mes lèvres sont secs, partout, il y’a des sourires de triomphes, ils ne veulent pas que je réussisse, ils veulent que je revienne à ma place et fondre dans mon échec, afin qu’ils puissent se moquer de moi et de me taquiner. Je regarde le visage de l’enseignante pour un peu d’encouragement, ses yeux sont fixés sur sa montre.. J’ai oublié le chronomètre !! Papa m’a donné un bon cours ce matin, ses mots résonnent dans mes oreilles : oui je suis la meilleure, oui je suis talentueuse, et oui je peux le faire. Je commence à réciter : va-t-en chétif, insecte excrément de la terre, d’une voix tremblante et très inaudible. Les rires me choquent, et à ce moment là, je me souviens du Chrono… si le maudit sonne et je reviens à ma place sans la réciter, je n’aurai rien à raconter à mes parents. Je dois le faire. Je recommence à nouveau, et cette fois avec une voix plus haute qu’avant, mais elle me trahit encore, je serre mes deux mains, je veux me rappeler d’une prière mais mes yeux tombent sur Marwan , mon condisciple et mon adversaire, le nouvel élève qui m’a dérobé de mon titre de la meilleure de la classe, il est assis là-bas attendant mon échec . Soudainement, ce n’est que lui et moi dans la salle, je ne vois plus les autres, je le vise et je commence la poésie. “Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre! ” ses mots me donnent un pouvoir. Oui, c’est l’aubaine de l’insulter sans être pénalisée après. La haie m’envahit, et la revanche me tente. Je continue d’un ton sûr, confident, menaçant, moquant..

C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
“Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me fasse peur ni me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toi :
Je le mène à ma fantaisie. ”
A peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le Trompette et le Héros.
Dans l’abord il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du Lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle :
Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée ;
Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

J’ai fini la poésie, aucune pause, aucune faute, je sais que j’ai dépassé le temps, mais la maîtresse ne m’avait pas arrêté , alors c’est un bon signe, j’ai bien fait, je tourne ma tête, je regarde la classe, tout le monde me regarde, y’a le silence, soudainement j’entends des applaudissements, la maîtresse d’un ton de gloire m’annonce que je suis la seule au niveau 4 à réciter tous les verses de la poésie sans aucune faute. Je tourne ma tête vers Marwan, il est tout jaloux, il est rouge, il à l’ œil étincelle, ah ces adjectifs familiers. Il est grand, il est le premier de la classe, je suis petite de taille, toujours deuxième, peut être pas aussi intelligente mais aujourd’hui je suis le moucheron. Contente mais modeste, fière mais surtout pas orgueilleuse, je reviens à ma place, par ce que je sais que s’il y’a un moucheron, et un lion, il y a aussi une araignée. Et que je crains les araignées.